7/22/2022

Images pour la postérité #6



"Au moins, on n'aura plus de raisons de revenir à Orléans."

6/01/2022

Histoire de Cagna #3

Pomme.
Pas moyen de se lever ce matin. Des lustres que je n’avais pas bu comme ça, comme un trou, pour oublier. Des lustres que je n’avais pas eu accès à une boisson pareille également. Depuis la grande sécheresse, toutes sortes d’alcool, de liqueur, d’eau de vie, de préparations hybrides sont fabriquées sous le manteau. Tout le monde a son alambic pour y mettre le moindre bout de végétal, pour transformer les rognures, les pelures en quelque chose qui se boit. Fini le temps du synthétique, toute essence a été réquisitionnée pour les machines d’intérêt public et il ne reste que les restes pour s’enivrer. Mais là, je n’en avais jamais vu autant, d’aussi bonne qualité, fluide, transparente, parfumée. Cela m’a rappelé la grand-mère qui nourrissait les invités du dimanche à coup d’Armagnac qu’elle seule savait boire. Un café, une table bien mise, des mignardises… Je n’aurais jamais imaginé que ces journées interminables me manqueraient tant maintenant que je n’avais plus rien. Enfin presque plus rien. En somme, je ne sais pas si c’est de joie ou de tristesse que j’ai bu. Soit parce que j’étais si bien avec ces inconnus, sous la cagna de la forêt, soit parce que ce bonheur m’a rappelé ceux qui ne sont plus, ceux qui sont partis, ceux que je ne reverrais jamais et ceux qui ont été pris. Entourés d’étoiles et d’air frais, libre enfin, je voulais juste que ce bonheur dure encore, toujours. J’en voulais plus, jusqu’à m’en remplir le corps. J’avais oublié de m’en souvenir.


Inspirée de la cagna de Laurent Tixador, forêt de Liffré - GR 39

Histoire de Cagna #2

Sea. Zone 5.
Personne n’avait pensé à fouiller jusque-là. Il faut dire que cela ne faisait que deux ans, en comptant depuis la réapparition progressive du soleil, que l’eau s’était retirée de cette partie du territoire européen qui avait constitué autrefois un pays. L’expédition était risquée, les bois et les marais étaient infestés de bêtes toutes plus coriaces et plus agressives les unes que les autres. Les vampires entre autres. Les plus petites s’étaient fait une spécialité de l’infiltration invisible : frôler une branche d’un peu trop près et vous étiez sûrs d’en transporter assez pour vous donner une fièvre d’un jour. Sans protection, il était devenu aussi risqué pour quiconque de traverser ces zones que d’emprunter une téléportable à ses débuts. Pour autant, l’annonce du recul de la mer avait provoqué un tel espoir que les volontaires s’étaient levés en nombre pour aller vérifier par eux même l’état de terres. Tels des pionniers du temps du Far West, ils étaient partis à pied ou à cheval avec un sac à dos, une hache et de quoi se nourrir quelques semaines au grand maximum. C’est un petit groupe, une famille, qui la trouva en suivant les indications des anciens. La cagna. La mer n’y avait pas touché et s’était arrêté à peine cinquante mètres avant. Un petit miracle. Façonnée en châtaigner, elle avait traversé plusieurs siècles avant d’être laissée à l’abandon. Recouverte d’un monticule de branchages et de feuilles, les premiers arrivés la déshabillèrent pour révéler son toit conique, son escalier et son promontoire de terre qui lui donnait l’air d’avoir des bras. Un chemin passait devant. Petite mais stable comme un phare, elle plu tout de suite aux Keller et à leurs enfants. Ils s’y installèrent et lancèrent le signal, le premier depuis longtemps – qui allait inaugurer la Grande Réintégration.


Inspirée de la cagna de Laurent Tixador, forêt de Liffré - GR 39

Histoire de Cagna #1

3ème jour de la trêve de Blancs.
Ligne de front Ouest, poste 24. Justin et Charles sont bien embêtés de se retrouver là, ensemble. Parce qu’ils ne peuvent pas se saquer. Avec la pluie froide qui les oblige à rester sous la cagna, au milieu de nulle part. Et à parler de Mathilde. Mathilde qui les divise, Mathilde qui est restée en arrière au poste 12. Parce qu’elle aussi se bat contre les blancs. Justin sort de sa poche un carré de chocolat, pour se « remonter le moral ». Ou c’est pour digérer ce que Charles vient de lui dire. Qu’elle a ri, a ri jusqu’à en cracher sa bière l’autre jour après qu’il soit passé la voir. Charles dit qu’il n’a pas entendu si c’était exactement, précisément à propos de lui, de ce qu’il venait de lui annoncer, - son départ - ou pour une autre raison. Mathilde fait n’imp’, cette conne file un mauvais coton... C’est jamais bon une femme comme ça avec ce genre d’engin, un fusil longue distance. Elle est si douée qu’elle pourrait toucher jusqu’ici, à n’importe quel moment. N’imp’…

Inspirée de la cagna de Laurent Tixador, forêt de Liffré - GR 39

5/11/2022

La femme à la fontaine

Cette histoire date de l'époque où je voyageais beaucoup. Il m'arrivait alors de passer et de repasser dans certains lieux comme on va à un rendez-vous. Parfois pour la journée, parfois pour une quinzaine, ou juste pour un détour. Quelques fois seulement, si les conditions étaient favorables, je m’y établissais pour y vivre. Une ville, un port, un village ou une cabane… tout me convenait si c'était l'envie du moment.

Dans le désert, il y avait peu d'étapes où s'arrêter et ce petit village en faisait partie. Mais, je ne sais pas pourquoi, je n'avais jamais vraiment eu l’envie d’y rester. Comme une impression de lourdeur, de malaise. Bien que la beauté brute et dépouillée du site à flanc de roche puisse satisfaire l’œil, le cœur semblait y étouffer, presque inconfortablement pris par quelque chose dans l'air ou dans le regard fuyant des villageois. Ce regard qui semblait dire : « ne te retourne pas » ou alors " oublie-moi"… Ce village donc, pas bien grand, à peine trois rues et une sorte de place triangulaire à leur croisée, subissait la morsure continuelle du soleil. Seule un peu de verdure avait trouvé le moyen de s’accrocher, on ne sait comment, sur la pente de la falaise qui le dominait. Pas haute ni abondante, mais suffisamment pour donner à l'ensemble un air de grotte sacrée. C'est d'ailleurs au pied de ce rocher que les villageois allaient chercher leur eau, toujours disponible et coulant d’une source claire et froide. Quand ce fut mon tour d'aller visiter les environs, j'allais donc tout naturellement vers la fontaine pour y remplir ma gourde.

La vision alors me frappa. Une femme, encore jeune et belle, aux yeux noirs comme les boucles de ses cheveux et simplement vêtue d'une longue jupe et d’une chemise colorée, les épaules couvertes d'un châle, se tenait devant moi. Assise sur le rebord de la fontaine pas plus longue qu’un homme, elle semblait soutenir, ou être soutenue, par la longue tige du conduit d’eau se terminant par un robinet de bronze massif et lustré. Elle était littéralement collée à lui, l'entourant comme un serpent, pendue, suspendue à cette tige froide. Son regard semblait perdu comme elle, immobilisé quelque part dans l'espace et le temps. Je ne le remarquais pas du premier coup, mais elle marmonnait quelque chose, des phrases tournant en boucle dans sa bouche aux lèvres charnues et dessinées pour l'amour. Entendre sa voix, c'était comme de recevoir un coup au cœur tant son malheur, réel ou imaginaire, faisait peine à voir et semblait contagieux. Je m'approchais doucement d’elle et du robinet quand un vieux m'interpella et me fit signe de me servir directement dans le bassin attenant. Seule la femme se servait du robinet et il aurait été mal aisé de la déranger, me glissait-il à l’oreille. Guidé par ma soif plus facile à contenter que mon esprit, je me contentais de faire comme il disait, sans déranger la femme et remplit ma gourde. Plus loin, ayant laissé cette sublime créature à son sort, je demandais au vieux de m’éclairer sur la situation et voici ce qu’il me répondait :  « Tous les jours, la femme arrive à la fontaine. Tous les matins, elle meurt de soif et court jusqu’au robinet. Elle est persuadée que son mari s’est transformé en ce robinet et par fidélité, elle reste auprès de lui jusqu'à la tombée de la nuit. Nous avons bien essayé de la faire partir mais elle se transforme en furie, pousse des cris et se débat ! Au moins ici, elle ne fait de tort à personne si ce n'est à elle-même. Elle boit, c’est tout ce qu’elle fait. » Contraint par mes affaires, je repartais du village le lendemain avec des réponses mais avec encore plus de questions. Laissant cette pauvre âme à ton triste sort, je reprenais la route.

Je ne revoyais ce village que tout à fait par hasard, cinq années plus tard. Je n'avais pas repensé à cette femme depuis mais il m'arrivait, je l'avais noté, de sentir un léger frisson lorsque ailleurs dans le monde, je trouvais une fontaine pour y remplir ma gourde. Comme un vieux chant qui me revenait aux oreilles, ma respiration faisait une pause au moment où l’eau s’engouffrait dans le récipient, avec la désagréable impression que quelque chose de moi était aspiré avec. Quelque chose qui apaisait la soif de cette femme inconnue.

Lorsque que je revenais dans la région, je reconnaissais assez vite les trois rues surplombées par le roc qui bien que baigné de soleil, semblait toujours aussi sinistre. Je revoyais la place, le petit chemin sableux entre les rues, les maisons décrépies. Rien n'avait changé, pas même le vieux qui me reconnaissais au premier coup d’œil. Après quelques salutations d'usage, je lui disais que je comptais me rendre à la fontaine et lui demandais sans trop y croire, si la femme s’y trouvait toujours. Il m’y conduisait en guise de réponse laissant en plan son occupation. Je constatais par moi-même que la femme se trouvait encore là, toujours agrippée à sa source, chevillée à son tuyau de mari. Une part de moi se sentait rassurée de la voir inchangée tandis qu’une autre ressentait de la honte, honte pour elle surtout, et voulait déjà ne plus constater son malheur et partir loin d’ici. La culpabilité et la gêne pour mon indiscrétion me remontait à la gorge à mesure que j’avançais vers elle, bien obligé de m’y confronter désormais car la chaleur du désert ne permettait à personne de se passer d’eau.

Elle marmonnait toujours et je m'approchais pour l’entendre et remplir ma gourde. Elle semblait discuter avec le tuyau, évoquant des souvenirs lointains d’une vie commune, de mariage et de fêtes, de nuit de noce même. Essoufflée, elle buvait alors une grande lampée à même le robinet dans un geste quasi désespérée. Puis concentrée comme dans une méditation, son visage changeait et toutes les années de malheur semblaient lui tomber dessus d’un bloc. Ses mains, jusqu'ici douces et hâlées, prenaient rides, tâches et se mettaient à se plisser à vue d’œil. Ses cheveux noirs grisonnaient maintenant, sa voix s’éraillait dans la même phrase. Elle prenait vingt ans en quelques minutes et lorsque la métamorphose s’arrêtait, se murait dans le silence.

C’est en prenant un café avec le vieux, que je découvrais ce qui lui était arrivé. Il me racontait que jadis la femme, originaire de ce village bien évidemment, était courtisée par tout ce qui savait monter à cheval d'ici à l'océan, tellement - et ce n’était pas volé - sa douce beauté provoquait le désir de tous les hommes. Innocente de cœur et peu convaincue par les beaux discours, elle choisissait pour futur époux, un voisin. Ils se connaissaient depuis l'enfance et parlaient le même langage en plus d'être un bel homme droit et courageux. Mais à l'approche du mariage, il traversait un épisode étrange, devenant de plus en plus tourmenté dans ses rêves, par une jalousie nouvelle. Il regardait de plus en plus sa promise avec l'œil torve d'une blessure imaginaire à venir que celui de l'amie merveilleuse qu’il avait toujours eu à ses côtés. Les présents qui arrivaient pour elle afin de la faire changer d'avis ne le rassuraient guère, pas plus que les mots tendres de sa bien-aimée. La colère rentrée finissait par le rendre fou et il osait un soir à la vue d’un collier d’ambre offert par un admirateur inconnu, lever la main sur son plus cher amour, sans achever son geste. Bien sûr, il se rongeait les sangs, crachait contre le petit tyran du Saint-Esprit qui avait guidé son geste. Comprenant qu'il ne pouvait plus mériter son amour, il s'enfuyait jusqu’au pays voisin. La belle qui pleurait de toute son âme durant des semaines, attendait son retour et gardait espoir. Une lune passait et genou à terre, il revenait au village pour lui promettre si elle voulait toujours de lui, que plus rien de tel n’arriverait et de devenir le meilleur des maris. Elle pardonnait… Parce que son cœur était à lui. Et après un mariage joyeux et de longues festivités, ils vivaient quelques temps ainsi, heureux et insouciants, balayant du revers ce faux pas. Mais une année, une mauvaise récolte mettait à mal tout le village et le mari, comme d’autres, s’accommodait de la boisson pour passer le temps et oublier les malheurs. Et de nouveau, les soupçons à l'égard de sa femme grandissaient lorsqu’il apercevait le collier d’ambre à son cou. Il ne la voyait plus avec le cœur mais depuis ses peurs. Il craignait encore qu'elle ne parte avec le premier marchand venu, lui qui ne pouvait même pas lui offrir une robe décente. Pourtant, il savait que ces idées sortaient de sa tête et d’elle seule. Il savait la fidélité de sa femme, aussi désirable soit-elle. Alors, la plupart du temps, il luttait pour se raisonner et gardait sa souffrance sous un couvercle.

Parfois oui, ils se disputaient, le ton montait comme chez tous les couples. Qui ne pas connait pas cela ? Mais ils s’aimaient tout autant et bon gré mal gré, ils traversaient les saisons. Un jour de marché alors que la femme s’approchait d’un vendeur de breloques, le mari reconnait sur l’étal le collier jumeau de celui offert des années auparavant. Le regard avenant de la belle, qu’il soit pour la joaillerie ou l’homme, venait d’allumer le feu aux poudres. Quoi ? et après ? Elle voulait seulement se trouver jolie dans le regard d'un homme qui effectivement, semblait troublé. Et le collier lui plaisait. Cet échange suffisait, de retour à la maison à déclencher la dispute qui tournait au drame puisque tous deux tombaient dans l'escalier. Elle qui savait se défendre s'était agrippée à lui et l’avait repoussé sans mesurer qu’il se tenait si près du bord. C'est à ce moment que le djinn du collier d'ambre décidait de porter secours à la femme en amortissant la chute qui lui aurait été fatale. Elle se réveillait au matin au bas de l'escalier, sans aucun souvenir, seule et terriblement assoiffée. Elle appelait son mari mais personne ne répondait. La gorge la brûlait et toutes les carafes avaient été brisées dans la dispute. Elle décidait de quitter la maison pour se rendre à la source. Et là, au lieu du filet d'eau habituel suintant de la falaise, se tenait un tuyau de cuivre surplombé d'un robinet. Hagarde et apeurée, elle l'ouvrait et se penchait pour boire. L'eau coulait dans ses mains et le long de ses lèvres puis entrait en elle et elle se souvenait de la chute, de la dispute et des cris. Complètement perdue au pied de tuyau, elle buvait encore. Encore et encore. Les souvenirs d’avant la veille revenaient à chaque gorgée un peu plus. De tous, des durs mais aussi des plus beaux, des plus anciens. Comme la soif et la fontaine, ils ne se tarissaient jamais et semblaient d’autant plus sublimés, comme perçus sous un nouveau jour. La belle, si triste et seule se blottissait alors contre le tuyau et sentant que le filet d'eau qui en sortait ne pouvait se tarir, décidait de ne plus en bouger afin de vivre dans l’éternel passé.

Quand le vieux terminait son récit, j'avais les larmes aux yeux, voulant de mes mains arracher à son tuyau vicieux la femme, quitte à la rendre folle. Mais le vieux me mettait en garde. « C'est exactement le but de la manœuvre du djinn ! Lorsque le matin elle arrive à la fontaine pour épancher sa soif immense, elle ne se souvient de rien. C’est seulement la source qui lui rappelle ce qu’elle a vécu. Et si elle se souvient assez, espère le djinn, lorsqu’arrive le soir, elle part d’elle-même pour refaire sa vie. Mais jusqu’ici, elle n’y arrive pas, et revient chaque matin pour pleurer son mari. » Une vague de compassion envahissait alors mon cœur pour cette une femme piégée par le souvenir d’un amour comme une esclave. Piégée de le donner encore et encore, à un tuyau vide.

Lorsque je voulais reprendre la route, le vieux m'accompagnait encore. J'avais passé assez de temps à ruminer son histoire pour sentir une colère sourde monter en moi contre le sort qui lui avait été réservé. Quel gâchis je disais… En m’offrant un petit sachet de fruits, le vieux me souriait. Il y avait pire comme sort selon lui. Quel pouvait être pire infortune que celle d’une pauvre femme perdue dans ses souvenirs ?

Celui du djinn, dit le vieux. « Il ne l’a quand même pas sauvé par hasard de cette chute ! S'il se déguisait en marchand pour la voir, ou dans son collier d’ambre pour la faire changer d'avis avant son mariage, c’est bien qu'il était poussé à la faire. Il l’aime et cela depuis des siècles ! Et tant qu'elle ne se souviendra pas, elle ne partira pas. Mais tant que lui ne lui dit pas son amour, il ne l’aura jamais non plus ! Alors qui est à plaindre ? »

 

20 euros

Devant le distributeur, elle tira un billet puis se tourna vers les jumeaux aux lunettes rondes. Ethan et Jonathan voyaient dans la main de leur tante, un beau vingt euros, bleu et neuf. Avant de se coucher, ils le déposèrent dans Le livre de la jungle, qui resta ainsi entre eux, sur la table de nuit séparant les lits. Les enfants se mirent alors à rêver du même lieu, la fête foraine qui les obsédait depuis son installation sur la place, deux rues plus bas. Ethan se voyait sur le grand manège chevauchant seul, un majestueux hippocampe aux reflets argentés. Ses parents le regardaient en souriant tout comme le guichetier qui agitait le billet qu'Ethan venait de donner contre un tour infini. Grâce à son argent, Jonathan ouvrait dans son rêve, son propre kiosque à bonbon. Son monticule de fraises, bananes, réglisse et guimauves attirait tous les enfants y compris son frère qui venait y dépenser jusqu'au dernier centime. Avec cette fortune, Jonathan, béat, continuait de remplir son étal.

En classe, les jumeaux s'affairaient à dessiner, lorsque leur grand-frère Alex, passa en scooter en klaxonnant. Ils se regardèrent et un léger frisson traversa leurs corps. L'école finie, Ethan et Jonathan montèrent directement à leur chambre. Le billet était toujours là. Les jumeaux décidèrent la nuit tombée et à titre préventif, de dormir à tour de rôle avec le billet sous l'oreiller. Comme d'habitude, leur sommeil fût de plomb et de sucre.

Samedi, les jumeaux prirent le billet pour de se rendre sur la place, deux rues plus bas. Devant le grand manège et le kiosque à bonbon encore plus majestueux que dans leur imagination, Alex les surpris en arrivant par derrière et s'empara du billet. D'un rire narquois, il se mit à le broyer au creux de sa main. Ethan commençait à sentir des palpitations tandis qu'une larme silencieuse se formait au coin de l’œil de Jonathan. Les jumeaux se fixèrent et firent demi-tour en direction du scooter qu'ils s'acharnèrent à faire tomber. Alex, blême de rage, hurla quand le scooter bascula lourdement contre un socle de béton. Les parents, confisquant le billet, ramenèrent aussitôt les frères à la maison qui furent tous punis.

Ce soir là, les jumeaux finirent par s'endormir en rêvant de la fête foraine mais l'atmosphère lugubre et désertée du manège aux figurines affadies, du kiosque vide et sale les attrista. Pire, au milieu de la place, Alex paradait sur son scooter, le billet à la main. Cette vision les réveilla subitement et sans un doute, les jumeaux descendirent au garage où le scooter trônait. Lentement, ils se mirent à pousser le scooter et se dirigèrent vers le milieu de la place, deux rues plus bas. Ethan déversa une bouteille d'alcool ménager sur le siège tandis que Jonathan craqua une allumette vers une flaque près de la roue. Le feu se propagea si vite qu'ils durent reculer. L'espace d'un instant, dans une quinconce de bris de verres et de plastiques fondus, l'éclat de l'hippocampe et des étals reprit toute sa vigueur.

D'après Caravan (2016) de Hans Op de Beeck

5/05/2022

Boucherie #9

 


Rezé, avril 2022.

Boucherie #8

Lille, mars 2022.


 

10/25/2019

Boucherie #7

 
Chartres, juillet 2019.

8/06/2018

Instantané #6

Peut-être les mouettes du lac de Saint-Mandé sont les arrières-arrières-arrières-arrières petits enfants de celles venues du Havre ou de Fécamp cet hiver là ? Peut-être qu'elles ne savent même plus que la mer existe ? Leur chant, toujours le même pourtant, surplombe un instant celui des perruches, égarées elles aussi, dépaysées.
Il me transporte dans cette chambre de Noirmoutier. La sieste moelleuse, les draps défaits, le temps suspendu par leurs cris aigus, déjà passé.

Une simple petite image en trois petites lignes #11

Loire
Pleure et coule
D'à ma place.

Le fil d'Ecosse


Je n'avais pas le souvenir que les églises étaient taguées. Sur chaque pylône, sur chaque pierre à hauteur d'homme se trouve une inscription. Des cœurs, des noms, des dates. Le tout gravé dans des typographies particulières, issues de la mode de l'époque. Ici, de sont des Écossais qui se nomment. Un Mac Dougall côtoient un Stewart of Darney, enterré ici pour s'être battu au côté des Français contre les Anglais il y a de cela 591 années. Et cela continue... Quelle impolitesse à la pierre. On la charge de trop d'histoire particulières, et elle en hérite.
Comme celui là : Paul Colle 1643. Il l'a écrit juste pour que quelqu'un dise son nom à voix haute ? D'autres s'embêtent moins : G-C 70. Mais de quel siècle ?
Il y a le classique : R.V. On dirait presque une blague.
Et en 1684 déjà, il fallait savoir écrire pour graver son nom. Donc, détériorer un monument devait être une activité bourgeoise ou d'érudit. Ce n'est pas N. Linge qui me contredira.
Il y a du crayon de bois, du stylo, des éraflures, des incrustations censées tenir des siècles et des siècles. Et puis des marques, des striures parallèles de ponçage faites par-dessus par les gens de l'église et cela a l'air d'être fait régulièrement. Les pierres, jusqu'à un mètre 80 de haut sont d'ailleurs plus blanches, comme entretenues. Ici, un beau 1738 bien lié comme on l'imagine écrit dans un livre d'époque.
Une supplique : « Saint Christophe protège ma fille et moi » sur un autel mais la statue n'y est plus.
Une date entière : 28.8.1945
Un slogan : « Bordelais, le bien aimé » et un concurrent : « François le Picard »
Un duel de villes sur pylône parallèle avec Lens d'un côté et Auxerre de l'autre écrits au marqueur vert. Dans quel intérêt ?
Pendant ce temps-là à la boutique de souvenirs, Marc dit à Gaëtan qu'il vient de changer la couleur de la conversation avec Michèle.
A-t-il reçu assez de messages ?

Omphalos


6/22/2018

Instantané #5

Les urbains hautains, ou l'inquiétude de pas être comme il faut.
De l'extérieur, on dirait deux couples parfaits et leurs charmants parfaits enfants. Ils ont des habits d'îliens - vareuses, sac en ciré, T-shirt marin à rayures - plus quelques accessoires qui marquent leur appartenance à un certain monde et un je-ne-sais-quoi d'esprit de clan. Ils n'habitent pas les maisons de location d'ici. Ils ont les leurs. Ils s'y retrouvent et saluent leurs parents qui ont eux aussi leurs propres maisons. Ils ne se mélangent pas. Inutile. Ils ont ce qu'il faut. Mais quand ils passent et traversent l'arrière du jardin, se lève comme un souffle d'inquiétude diffuse, de peur tapie dans leurs déplacements. L'impression qu'ils donnent est ambiguë, comme s'ils se surveillaient, s'observaient eux-mêmes. Des rois pas à leurs place, pas convaincants. Leur barbe est trop bien taillée, leur coupe de cheveux aussi, leurs enfants bien trop sages. En dehors de leur statut, ils n'ont pas l'air très intéressant.
Que c'est bon de juger... Est-ce qu'ils sont riches ? De quoi ? Le suis-je plus qu'eux tous réunis ? Peut-être.

Notes pour plus tard #7


Hoedic, quoi.

Donc, vacances.
Donc, pensées qui filent et se défilent.
Donc, nouveaux visages, nouveaux paysages.
Donc, nouveau tremblement de cœur.

Phrases de rêve #9

Je révise ma copie.

1/08/2018

Boucherie #6


Nîmes, septembre 2017.

10/03/2017

L'horoscope du lundi

Déprimons-nous de nos peaux de remords
Goûtons émus le frais de nos bouches
Qu'enfin l'un contre l'autre cognent nos cœurs.

10/02/2017

Phrases de rêve #8

Achète-toi une couille et reviens me voir.

10/01/2017

Notes pour plus tard #5

Château Lafon-Rochet, Saint-Estèphe. 1985.

La grande occasion
avec quelques kilomètres au compteur
vaut-elle l'affaire,
vaut-elle le prix ?

On hésite, on hésite
attention, elle peut partir aussi.

Bondage

Repos, répit
la faute, la nôtre
a un goût de sel
s'éloigne, m'étourdit.

La faute à personne
fout lui la paix à la fin
parce que dans le fond,
elle t'allait bien.

Que la vie est étrange
que la leçon est dure
de sans cesse s'améliorer
démaquer l'imposture.

Surtout celle à soi-même
surtout quand elle est belle
si parfaitement ajustée
que pieds et poings liés, j'y serai allée.

9/18/2017

Luv Battle

Juste une confirmation                  - Va chier
                                    
Que tu vas bien                             - La meilleure défense c'est l'attaque
                                 
Que tu es bien rentré                     - Prêt à tout pour gagner la bataille
                                 
Et peut-être, tiens à moi                - Sans savoir ce que tu risques de perdre
                                 
Comme je tiens à toi                     - Parce que tu l'ignores encore
                                 

9/17/2017

Images pour la postérité #5


    
    Mi madre, mi padre. Benidorm, 1966.

9/08/2017

Insomnia

J'ai de belles insomnies
des insomnies d'ennui
alors je laisse passer le temps
qui souffle et guérit.
Plein de points sur ma carte
la fidélité du sommeil
se cumule en capitale
acquise et volée à la nuit.

Le cœur de maman

Un cœur bien partitionné
rebondit et rutilant
garance au possible
bien vivant, bien vivant

Phrases de rêve #7

I am the open legs 's woman.

Boucherie #5

    Sarlat, 2017

8/06/2017

Phrases de rêve #6

- Vous avez pas downloaded les composants ?

Une simple petite image en trois petites lignes #10

Un whisky,
un Alka-seltzer.
Impeccable.

(Plérin, jour 2)

Une simple petite image en trois petites lignes #9

Porte d'Ivry
noyade de béton
perdurent les baies pourpres aux buissons.

Phrases de rêve #5

- Tu veux savoir si les comédiens sont fidèles ? Oui, ils le sont.

Notes pour plus tard #4


7/17/2017

Une simple petite image en trois petites lignes #8

Une rivière de rails
Une cascade de ponts
Aller au turbin.

Phrases de rêve #4

J'ai traversé des rivières de merde en feu. 
(2016)

7/16/2017

Extrait de scénario #9

EXT. JOUR - COUR DE RECRÉE DES MATERNELLES

- Et tu crois que ça vaut la peine? 
- Je sais pas. Si on est logique, ça finira mal parce que à la fin, on meurt. Mais entre temps, avant, on peut s'aimer.

Super Nana - Michel Jonasz

Y a comme un mot d'amour
qui flotte au-dessus du HLM
Par la fenêtre d'une tour une personne
qui est personne
le regarde en pensant
que c'est pour elle
pour elle, pour elle
Saisir au vol
le papier ondulant
(bercé) par la brise
(choyé) par le vent

6/01/2017

Phrases de rêve #3

Vois mon amour, comme le soleil est ample.

Coq

Elles ronflent mes oreilles,
mais ce n'est pas de ma faute si je veille.

Tiens, prends ma cheville dans ta main,
doucement la dessine, va et vient.

J'ai le temps de voir passer les nuages sur le bleu foncé.
Qu'il fût long à venir mais la brise le murmure, Été.

J'attrape le bloc, les feuilles, le papier-crayon
et commence à coucher l'incouchable,
de ce désir, de cette union.

5/06/2017

A ton image

De la nuit
tu m'diras
ce qui va pas chez moi

C'est le gris
c'est la voix
c'est tout ce qui n'est pas toi

C'est sucré
ou salé
c'est pas un Sélecta

Prends tes bask
descend de là
enlève un peu de ça.

Phrases de rêve #2

Je laisse l'amour pourparler.

Phrases de rêve #1

Dors. C'est de la poésie contemporaine.

Unique est son chant (Joseph Campbell)

Mon amour
Mon pays adoré
Ne crains rien
Car tu m'emportes avec toi
Et ranimes
Mon inconsolable être 
D'avoir été
Tant d'années, 
De silencieuses années, 
Dans l'attente de ce matin. 

Mon amour
Mon pays adoré
J'aime ton drapeau
J'aime ton chant
Les dernières étoiles s'éteignent
Regarde-les mourir à la fenêtre
Mais arrive enfin ce jour.

Et c'est à moi de te relever
A mes bras de te serrer
A mon cœur de te guider
Pour que se déploie à son tour
Pour toutes les créatures
Ton universel amour.



3/31/2017

Des mots du ventre rond

Couloirs de carrelage
bouton serré sur veston
Je l'ai sur les lèvres.
Un croustillant rire d'enfant
des pleurs de bohème,
rose aux joues des passants
Terrasses d'abeilles.
Dire pour une fois que t'es belle
ça change un réveil
ça change un amant
et sa tour Eiffel.

3/19/2017

(Les moustaches ont migrées de l'autre côté de l'Atlantique)

#jesuisangela
#jesuisang
#jesu
#us
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Instantané #4



Elle se souvient de ce moment précis. Le moment où elle a su qu’elle l’aimait. Un matin tout tranquille, un samedi de printemps. On est chez ses parents. On se lève, il fait beau et on se prépare un petit déjeuner. Tout est là sur la table du jardin aux herbes encore hautes. Elle est déjà amoureuse de lui, mais là, ils ne se disent rien. Ils se sourient en silence et ils mangent. Et elle comprend qu’elle l’aime, que c’est aussi simple que ça d’aimer. Elle aime l’être humain assise en face d’elle.
Plus tard, en y repensant, elle est émue de la simplicité de ce moment, de ce qu’elle a ressenti. Ça n’était jamais arrivé, juste, comme ça. Mais il y a toujours la pointe d’un sentiment qu’elle n’arrive pas à identifier clairement. Elle en ressent juste l’ombre.
Cette nuit, elle met un mot dessus car elle n’a plus le filtre du respect. Elle a surtout besoin de celui de la vérité, de sa vérité. Cette impression autre, incongrue, c’est de l’ennui.

L'inconu de l'hôtel



L’autre a toussé derrière le mur.
Mes yeux ne pouvaient plus se refermer.
Et j’ai dansé avec les ombres jusqu’à ce que j’aspire les lueurs du matin.