L'ikéa
C'est une verrue au milieu d'un champ
comme disait ma mère, une bâtisse informe, jaune, vaguement
rectangulaire, au toit de tôle. On pourrait y avoir froid et
détester sa promiscuité. Tout y est amassé : cuisine, table,
chaise, frigo, poêle, lit, télévision, radio, lampes, habits,
armoires, radiateurs... Au moins, on a tout sous la main et quand on est
petit, c'est assez pratique. C'est la maison temporaire, pendant les
travaux de la vraie maison. C'est là que la vie s'installe, entre
camping et confort modeste, ultra-modeste. Et il faut être ouvert,
être d'accord pour vivre ici, avec l'extérieur qui s'incruste au
travers du toit de plaques fines, de la porte qui laisse passer
l'air, du chat qui s'invite, des toilettes que l'on voit par la
fenêtre. Si on regarde les détails, ça ressemble même à la
maison d'avant, assez sommaire et avec si peu de distance entre les
pièces que l'on pourrait à la longue s'y sentir à l'étroit. Moi
je suis là en visite, ça me va. Certes, il n'y a pas de grand
canapé où s'allonger et pas de salle de bain où s'enfermer. C'est
si calme en même temps. J'entends le vent qui souffle et ses rafales
caressent les murs. Je me sentirais presque comme lorsque j'étais
ado, là, allongée sur le lit à rêvasser. A eux – mes parents -
aussi, ça leur donne un coup de fouet, ça les oblige à faire
travailler leurs méninges, à innover, à se déployer sur le
terrain vers d'autres espaces, à se disperser, à ne garder que
l'essentiel, à oublier temporairement les standards de la vie
moderne pour un confort du peu, du raisonnable, du bon compromis.