6/01/2022

Histoire de Cagna #3

Pomme.
Pas moyen de se lever ce matin. Des lustres que je n’avais pas bu comme ça, comme un trou, pour oublier. Des lustres que je n’avais pas eu accès à une boisson pareille également. Depuis la grande sécheresse, toutes sortes d’alcool, de liqueur, d’eau de vie, de préparations hybrides sont fabriquées sous le manteau. Tout le monde a son alambic pour y mettre le moindre bout de végétal, pour transformer les rognures, les pelures en quelque chose qui se boit. Fini le temps du synthétique, toute essence a été réquisitionnée pour les machines d’intérêt public et il ne reste que les restes pour s’enivrer. Mais là, je n’en avais jamais vu autant, d’aussi bonne qualité, fluide, transparente, parfumée. Cela m’a rappelé la grand-mère qui nourrissait les invités du dimanche à coup d’Armagnac qu’elle seule savait boire. Un café, une table bien mise, des mignardises… Je n’aurais jamais imaginé que ces journées interminables me manqueraient tant maintenant que je n’avais plus rien. Enfin presque plus rien. En somme, je ne sais pas si c’est de joie ou de tristesse que j’ai bu. Soit parce que j’étais si bien avec ces inconnus, sous la cagna de la forêt, soit parce que ce bonheur m’a rappelé ceux qui ne sont plus, ceux qui sont partis, ceux que je ne reverrais jamais et ceux qui ont été pris. Entourés d’étoiles et d’air frais, libre enfin, je voulais juste que ce bonheur dure encore, toujours. J’en voulais plus, jusqu’à m’en remplir le corps. J’avais oublié de m’en souvenir.


Inspirée de la cagna de Laurent Tixador, forêt de Liffré - GR 39

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